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Aïcha YONLI, une patronne à l’énergie débordante

mercredi 18 mai 2016

Formée pendant huit ans à Hambourg (Allemagne), Aïcha YONLI s’est lancée à l’âge de 22 ans dans l’entrepreneuriat en créant une société d’entretien et d’assainissement. Tenace, elle a réussi à se faire une place dans un secteur où plus de 150 sociétés se livrent une rude concurrence.

Dans une Tribune publiée en mars 2012 à l’occasion de la Journée internationale de la femme, le ministère de la Promotion de la femme révélait que les femmes burkinabè étaient de plus en plus portées vers la création de leur propre entreprise. On apprenait ainsi que « le pourcentage de création d’entreprises par les femmes est passé à 17,11% en 2010 contre 16,91%en 2009 selon le rapport 2010 du Centre de formalités des entreprises (CEFORE) » et que durant l’année 2010, « sur 3460 créations d’entreprises enregistrées, 592 entreprises ont été créées par des femmes ».

Alors qu’elles représentent 52% de la population, ce chiffre reste encore très modeste, en raison des contraintes qui freinent l’esprit entrepreneurial des femmes : Manque de garanties pour accéder au crédit, faible niveau d’instruction, pesanteurs socio-culturelles et familiales, etc.

Pour celles qui, en dépit de tout, se sont lancées, comme Aïcha YONLI, directrice de l’entreprise Burkina entretien, assainissement urbain (BEAU), il faut donc plus que la volonté pour oser voler de ses propres ailes. Je l’avais rencontrée pour la première fois en 2003 alors qu’elle était en plein doute quant à l’avenir de sa société. Treize ans après, par une heureuse conjonction de circonstances, nos chemins se sont à nouveau croisés en mars dernier. J’ai voulu savoir dans quel état se trouvait son entreprise. « C’est toujours difficile, mais je me bats », dit-elle, et « si vous voulez, vous pouvez aller voir ce qui se passe sur les sites où travaillent les employés », ajoute t-elle.

Rendez-vous est pris le 31 mars à 5h du matin à l’aéroport de Ouagadougou, première étape d’une tournée qui va durer toute la matinée. Sur le parking de l’aéroport, c’est le calme plat. Le vroum-vroum des véhicules qui arrivent ou partent n’a pas encore commencé. Quelques minutes d’explications avec les vigiles et les policiers qui filtrent l’accès à l’aéroport, et nous voici dans la salle d’enregistrement. C’est là qu’une dizaine d’employés de l’entreprise BEAU, reconnaissables à leur tenue bleu foncé, officient tous les jours pour rendre les lieux propres. Equipés de seaux, de machines auto-laveuses, de balais, de chiffons et de raclettes silicone, ils veillent sur l’hygiène dans l’aéroport et à donner aux étrangers une belle image du Burkina.

J’insiste pour m’entretenir avec eux, sans leur patronne. La parole se libère quelque peu. Seul homme parmi les salariés sur les lieux, c’est Diallo, par ailleurs chef d’équipe, qui répond aux questions. Les autres acquiescent. « Tous les jours, il faut être là au petit matin pour assurer le nettoyage. Tout doit être terminé avant que les travailleurs de l’aéroport n’arrivent. Dans la journée, une personne assure la permanence, de même que la nuit », explique t-il. Quid de leurs conditions de travail ? « C’est un travail difficile parce que physique. Mais vous voyez, les femmes sont là et elles tiennent bon. On ne se plaint pas beaucoup parce que jusqu’à présent, nous sommes payés à l’heure. Il n’y pas de retard de salaire », répond Diallo. Des salariés comblés ? « On aimerait quand même que la patronne voit si elle peut augmenter la paie et qu’on ait une journée entière de repos dans la semaine », suggère une salariée en poste depuis près de dix ans. Les collègues opinent. « On est content d’avoir du travail qui nous permet de nourrir nos familles et on prie Dieu pour que la patronne ait la santé et qu’elle développe l’entreprise », concluent-ils en chœur.

Il est 7 heures et l’aéroport est déjà animé. Cap à présent successivement sur les locaux d’Ecobank de Gounghin, Pissy, Tampouy et Tanghin. Sur ces différents sites, c’est le même rituel pour les employés arrivés entre 5 et 6 heures : On astique les coins et recoins des escaliers en attendant l’ouverture des bureaux. « Pour être à l’heure, nous quittons chez nous à 4 heures du matin à vélo. On n’a pas peur et de toute façon, on n’a pas le choix », racontent, stoïques, deux salariées affectées à l’entretien de l’immeuble de Pissy. Mieux loties, celles qui officient à Tanghin arrivent vers 6 heures et en repartent au plus tard à 8 heures. C’est en janvier que l’entreprise BEAU a décroché le contrat, Ecobank ayant rompu avec le précédent prestataire « parce qu’on n’était pas satisfait du travail. Les carreaux ne brillaient pas bien », confie la chef d’agence, Marie Denise Kiwallo qui, le temps d’une interview, s’est employée à vanter les produits de cette banque qui croit dur comme fer que « l’avenir est dans le panafricanisme ».

Avant de rejoindre le siège de l’entreprise dans la zone ZACA, la patronne décide de faire une escale dans une grande banque de la place. Elle n’est pas contente des services auxquels elle croit être en droit d’attendre de cet établissement où sont logés ses comptes. « Quand les chefs d’entreprises ou les porteurs de projets se plaignent que les banques ne les accompagnent pas, ce n’est pas faux. Je ne suis pas contente de ma banque et il faut que vous soyez témoin de ce que je vais dire ». Sale temps pour le gérant de ses comptes, qui vient de récupérer le portefeuille laissé par son prédécesseur, parti à la retraite. Courtoise, Aïcha YONLI ne cache cependant pas sa colère : « Vous voyez bien tous les mouvements de fonds qui passent sur mes comptes. J’ai un chiffre d’affaires annuel de 150 millions de F CFA et je n’ai jamais eu de problème de découvert. Avec tout ça, vous refusez de m’accorder un prêt d’urgence de deux millions de FCFA », attaque t-elle. Puis elle menace : « Si ça doit continuer comme ça, je préfère arrêter avec vous et aller voir ailleurs ». Le gérant encaisse, sans broncher. Il consulte l’historique des comptes et au bout de quelques minutes, déclare que « normalement, il n’y a pas de problème à ce qu’on accède à votre demande. Vous êtes bien éligible à ce type de prêt, madame », s’excuse t-il presque.

On quitte la banque aux environs de 11heures pour rejoindre le siège de l’entreprise. Sur le parking, une salariée est sur le point de partir. Elle n’a pas la mine des beaux jours. La patronne, qui comprend vite qu’il y a manifestement un problème, lui demande : « Qu’y a t-il Mme Zerbo ? » (1). « Tout va bien. Il n’y a pas de problème », répond t-elle promptement. « Vous ne dites pas la vérité », réplique Aïcha YONLI. « Venez dans mon bureau », ordonne t-elle. J’apprendrai plus tard que la salariée est en bisbilles avec une collègue, laquelle l’importune sans cesse avec des blagues de mauvais goût, malgré ses protestations. « Des histoires pareilles entre femmes, ça arrive et il faut parfois que j’intervienne avant que ça ne dégénère », explique la directrice, pour qui la réussite d’une entreprise passe par un management de qualité. Il faut anticiper et désamorcer les conflits avant qu’ils n’éclatent.
Vingt-cinq ans après la création de BEAU, l’entreprise a désormais une dimension nationale. Elle est présente à Fada Ngourma, Koudougou, Ouahigouya Ouahigouya, Po, Houndé, Banfora, Orodara, Niangologo, Gaoua, Diébougou, Ziniaré et emploie 200 agents dont 140 à Ouaga et 60 dans les autres localités. « J’ai eu des moments de forts doutes et j’ai failli fermer l’entreprise », avoue la fondatrice de l’entreprise. Surtout à l’époque où ses principaux clients étaient les ministères et autres services publics. « Les factures n’étaient pas payées régulièrement et le retard pouvait atteindre un an », se rappelle t-elle. En pareille situation, il faut jongler, pour payer les salariés, les fournisseurs et les charges, sachant que les banques ne sont d’aucun secours. Elle a donc arrêté de travailler avec les structures publiques et ne prospecte que les clients du privé.

Où trouve t-elle l’énergie et la force de surmonter les obstacles ? « Le réconfort que me procurent les sourires des femmes que j’emploie et le sentiment de lutter à mon modeste niveau contre la pauvreté dans mon pays », d’autant que près de 95% des salariés de BEAU sont des femmes et qu’elles sont les plus frappées par le chômage. Sur le souhait des salariés d’obtenir au moins deux jours de repos dans le mois, la patronne se dit disposée à en parler, mais elle rappelle que « c’est la convention et le règlement de l’aéroport qui imposent de travailler 7j/7 et qu’il est possible à un salarié de demander une autorisation d’absence ».
Quant à l’augmentation des salaires, « je vais aussi discuter avec les salariés parce que leur temps de travail est en-dessous de la durée légale-2 ou 3 heures par jour-, mais comme ils travaillent à des heures tardives, je paie au moins le Smig et plus. Ils sont déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale et bénéficient d’une police d’assurance ».

A 47 ans, cette mère de deux garçons à l’énergie débordante est fière de son parcours et professionnellement épanouie. « J’ai créé mon entreprise à l’âge de 22 ans et malgré les difficultés que j’ai rencontrées, je conseille aux jeunes de ne pas attendre les emplois de l’Etat, surtout qu’ils disposent d’outils modernes de travail comme les TICS qui facilitent les choses ». Pour elle, le combat contre la pauvreté ne peut aboutir sans un soutien massif de l’Etat à l’entrepreneuriat féminin. « Le président Roch Kaboré doit regarder du côté des femmes, surtout celles qui ont le courage de créer leur propre entreprise et qui n’attendent pas qu’un homme leur offre le confort ».

(1) Pseudo
Joachim Vokouma, Lefaso.net (France)

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