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Patricia Yao/Zoundi : Elle crée une société de transfert d’argent avec seulement 60 000F

mercredi 20 juillet 2016

Bercée dans le commerce depuis son jeune âge, Patricia Yao/Zoundi est aujourd’hui un symbole de l’entreprenariat pour les jeunes. Diplômée de la Faculté de droit de l’Université de Ouagadougou et de Stanford University, elle crée en 2010 QuickCash, une société de transfert d’argent basée en Côte d’Ivoire. Cette entreprise est présente aussi bien en milieu rural milieu rural qu’urbain, grâce à sa plateforme web et mobile. Quickcash est présente dans quatre autres pays dont le Burkina- Faso, le Mali, le Togo et le Niger. L’administratrice générale de Quick Cash, dans l’entretien ci-après, présente sa société et parle de son expérience d’entrepreneure.

Lefaso.net : comment est née cette idée de créer votre propre entreprise et de mettre en place une société de transfert d’argent « Quickcash » ?

L’entreprenariat, je l’ai appris très tôt en aidant ma mère. Ma mère était commerçante. Elle vendait dans les villages, les jours de marché, elle faisait ce qu’on appelle « logodougou ». Ma mère se rendait de marché en marché pour vendre. J’aimais tellement ma mère, que je l’aidais à vendre pendant les vacances. Je n’ai pas trop connu ce qu’on appelle la « galère » :sur chaque vente de 500 francs CFA, elle me donnait 50 francs CFA. Déjà, j’avais commencé à faire mon petit commerce depuis l’école.

Pendant les vacances, j’avais toujours quelque chose à faire. Quand j’étais en faculté de droit, à chaque fois que je revenais de la Côte d’Ivoire, j’achetais durant le trajet : des bananes, de l’attiékié, de la kola, des ananas etc… et quand j’arrivais à la gare de train, je les revendais au double. De même, quand je repartais en Côte d’Ivoire, j’achetais des tissus et des légumes, que je revendais à la gare avant de rentrer à la maison. Sur le campus également, à la cité universitaire de la Patte-d’oie, je faisais un peu de tout.

Après mes études de droit, j’ai juste fait deux tentatives de demande de stage qui n’ont pas marché et je ne suis pas allée plus loin. Comme ma mère avait sa boutique en Côte d’Ivoire, j’ai récupéré cette boutique, j’ai essayé de moderniser et de donner un autre aspect. Finalement, je voyageais, j’allais au Togo et au Bénin pour prendre des marchandises.

C’est ainsi que j’ai un oncle qui a eu l’opportunité pour ouvrir un point de vente de transfert d’argent avec une multinationale de la place. Il m’a demandé de l’aider à gérer son point de vente. C’est comme ça qu’on a ouvert le premier bureau à Méadji. Des années après, il est rentré et ça m’a permis de créer ma propre entreprise avec l’expérience acquise. J’ai commencé très tôt. A 24 ans, j’avais déjà créé ma propre entreprise, je gérais déjà une dizaine de personnes. Mais, ce que j’avais constaté, c’est qu’il y avait un besoin de soulager mes clients qui étaient des gens du monde rural. Ils mettaient pratiquement trois jours pour effectuer une opération.

On connait un peu les réalités du village, c’est souvent un seul véhicule qui passe le matin. Quand vous ratez ce véhicule, il faut encore attendre le lendemain. Il fallait une journée pour venir en ville, une pour la transaction et une autre pour retourner au village. Il fallait donc trois jours pour faire une transaction.
Suite au besoin de ces personnes qui font trois jours pour une transaction, je me suis dit, pourquoi ne pas créer un produit qui va permettre à ces personnes de rester dans leur village pour faire la transaction. Mais, à l’époque, les points de transfert d’argent comme Western union et Moneygram ne marchaient pas en milieu rural. La plateforme a des limites. Il faut une connexion internet, c’est tout un luxe.

Donc, avec une équipe, je me suis dit, est ce qu’il n’est pas possible de mettre en place une plateforme qui peut marcher en milieu rural sans qu’on ait besoin d’une connexion internet. C’est ainsi qu’on a travaillé pendant 18 mois et nous avons sorti notre première plateforme. On avait le choix, on pouvait acheter parce qu’il y avait une plateforme pareille qui coûtait au moins 100 millions. Nous, on avait que 60 000 francs CFA pour démarrer. Je me suis dit, si je ne peux pas en acheter, est ce que je ne peux pas trouver des gens qui vont accepter de développer une plateforme pareille et de travailler sans argent en attendant. C’est ainsi qu’on a pu lancer notre première application qui pouvait fonctionner sans internet. Et voilà comment est parti Quickcash ! Quickcash est née dans ma maison, sous un appâtâmes avec deux collaborateurs.

Lefaso.net : Alors, peut-on dire que vous avez créé votre entreprise sans financements ?

J’ai commencé avec 60 000 francs CFA. J’ai donc fait avec ce que j’avais. J’ai acheté un ordinateur portable de seconde main à 60 000 francs CFA, un téléphone portable de 10 000 francs CFA. C’est avec ça qu’on a travaillé. Comme je le dis, ce sont des personnes qui ont accepté de travailler sans salaire. Ce sont deux personnes qui ont accepté de partager la vision et qui ont fait l’effort de travailler sans financement, pratiquement huit mois sans que les gens n’aient un salaire et jusqu’à ce qu’on ait notre premier contrat pour démarrer. D’ailleurs, je ne conseille même pas quelqu’un qui veut commencer une activité, d’entreprendre avec un prêt.

Vous devriez faire des efforts. Autour de moi, je m’étais donnée une certaine limite. Je m’étais coupée les cheveux, parce que pour moi, aller au salon de coiffure était une dépense. Et si je ne peux pas faire quelque chose, je ne vais pas en demander à quelqu’un. Même au menu, tout ce qu’on mangeait à la maison était saisonnier. Quand c’était la patate qui est moins chère, on en mangeait, si c’est la banane, on en mangeait aussi. Tout ce qui me permettait de garder de l’argent de côté, je le faisais. Il ya des amitiés que je m’étais séparées. Tout ce qui était uniformes, baptêmes, cotisations, sorties, étaient pour moi, des choses qui me faisaient sortir de l’argent. Lorsque je faisais tous ces efforts sur moi, je trouvais toujours de l’argent pour injecter dans mon business.

On a démarré sans prêt et nous avons compté sur nous- mêmes. Jusqu’aujourd’hui, on n’a pas eu de banque qui nous accompagne en termes de prêt. L’effort vient de nous-mêmes. Ensuite, il y a ce qu’on appelle le « love money » qui est la famille proche. Ceux qui ont confiance en vous et vous donnent de l’argent pour avancer. J’ai mon mari qui n’est venu en aide, il y a aussi mes parents qui m’ont aidé avec de petits prêts. Voilà, comment c’est parti.

Lefaso.net : Vos débuts ont-ils été difficiles ?

J’ai envie de dire que tout début est difficile. Et qu’est ce qui est facile ? Difficile, ça dépend de comment on appréhende les choses. Dans mon vocabulaire, ce sont des termes qui n’existent pas. En fait, la plupart des difficultés sont plutôt mentales que physiques donc, ce sont des choses qui n’existent pas dans mon vocabulaire. Ce que d’autres appellent difficultés, moi j’appelle ça une opportunité.

Lefaso.net : Quels sont vos défis pour Quickcash ?

Défis ! Pas vraiment. J’ai plutôt envie de parler de vision, de challenge, de mes réalisations. Comme je le dis, ce sont des termes qui n’existent pas dans mon vocabulaire. Certains vous diront qu’ils sont confrontés à un défi de financement. Mais, je dirai que ce n’est pas à nous de courir après le financement, c’est le financement qui doit courir après nous. C’est la banque qui doit entendre parler de l’entreprise et nourrir l’envie de l’accompagner. Je dis à mes collaborateurs, que si toujours, on n’a pas de financement, c’est qu’on n’a pas fait le travail qu’il faut. Donc, il faut qu’on bosse jusqu’à ce que l’investisseur vienne à nous. Tant qu’on est dans une situation de passivité, on reste toujours dépendant de l’autre, tant que l’autre n’a pas envoyé, on ne bouge pas. Pour moi, ce n’est pas l’investisseur qui cause problème, c’est plutôt la vision.

Lefaso.net : Quelles sont vos perspectives pour Quickcash ?

Mon rêve est de contribuer à l’émergence d’un monde rural, prospère et actif. Quand on arrive dans les villages, le visage qui ressort est celui de la pauvreté, de la misère. Mais, quand on regarde, tout ce qu’on consomme provient de ces zones. Il y a un paradoxe, cela consiste à savoir comment transformer de manière significative la vie des personnes en milieu rural, en leur permettant d’accroître leur pouvoir d’achat. Le transfert n’est qu’un élément, mais bientôt, à partir de septembre, nous allons lancer une panoplie de produits qui pourraient permettre véritablement de le faire. Nous ne sommes pas les seuls, j’invite toutes les entreprises à s’intéresser au monde rural, à faire des affaires avec ces personnes qu’on dit être au bas de la pyramide.

J’étais avec un assureur il n y a pas longtemps, je lui disais, en tant qu’assureur, vous devriez vous conformer, ne serait-ce que créer des produits et services pour le monde rural, ne serait-ce qu’à partir de 150 francs ou 200 francs CFA. Pour moi, toute entreprise peut modeler ses services pour pouvoir viser cette couche de la population.

Lefaso.net : Pourquoi le choix de la Cote d’Ivoire ?

J’ai plutôt une vision panafricaniste. Il y a tellement de choses à faire que si on veut se cantonner sur les pays, moi je parlerai plutôt des Etats- unis d’Afrique. La preuve, l’idée est née en côte d’ivoire, mais elle ne va pas se limiter à ça. Je vois mon entreprise au-delà de l’Afrique. J’ai une vision panafricaniste et il faut bien que ça commence quelque part et il faudra ensuite atteindre le monde entier.

Lefaso.net : Parlons maintenant du genre, votre statut de femme a-t-il parfois constitué un handicap ou un atout pour vous ?

Rires !Au contraire, c’est un avantage. Les gens pensent qu’être femme entrepreneur est un handicap. C’est un avantage, parce que la femme elle-même est une entrepreneure dans l’âme. Quand une femme décide d’entreprendre, elle réussit toujours parce sans le savoir, elle est entrepreneure. Quand vous faites une comparaison entre la femme et l’entrepreneur, vous allez trouver les mêmes similitudes : la planification, la femme est tout à la fois, elle est multitâche, elle peut s’occuper en même temps de son enfant, de la cuisine.

Pour moi, c’est un atout. Ce n’est pas un inconvénient d’être femme. Quand on parle d’innovation, qui plus qu’une femme sait innover. Il suffit de transposer seulement toutes les qualités que la femme a, à l’entreprenariat. A titre d’exemple, dans les villages, quand il n’y a rien à manger, la maman prend un peu de gombo, elle met au feu et on peut manger, cela est de l’innovation. Je pense donc que cela est un atout et j’ai plutôt rencontré des gens qui m’ont encouragé pour mon statut de femme. Et ce que j’ai à dire aux femmes à ce sujet, c’est qu’on a tellement dit qu’il y a des barrières que finalement, même si les barrières n’existent pas, elle finissent par exister dans nos têtes ; donc, même si cela existe, il faut les déplacer, il faut les bouger. C’est en bougeant que les barrières vont sauter et non en restant figé.

Lefaso.net : A ce jour, peut-on considérer Quickcash comme votre plus grande satisfaction ?

Pas vraiment, parce que je ne suis pas encore arrivée à réaliser ce que je veux faire. Peut-être que je suis une éternelle insatisfaite, mais j’ai envie de dire qu’on a fait un pas, mais il nous reste beaucoup à faire.
Ma plus grande satisfaction, c’est quand un client m’appelle pour me dire merci. Maintenant, j’ai pu envoyer de l’argent à mon frère, il a pu retirer. C’est ça, ma plus grande satisfaction, le bien- être de mes clients, que je parte dans les zones rurales et que je puisse rencontrer un client qui me dise merci, car grâce à vos services, je n’ai plus besoin d’aller loin. C’est vraiment une satisfaction de savoir qu’on est utile à quelqu’un.

Lefaso.net : Comment appréciez-vous le marché du transfert d’argent

En règle générale, nous sommes dans une mutation, les manières de faire changent. On était à des bureaux classiques au temps de Western Union, maintenant, nous évoluons vers la mobilité. C’est un changement technologique auquel personne ne pourra échapper, et forcément, le transfert connait une mutation. J’ai envie de dire, le transfert a de beaux jours, mais le transfert lui seul, dans son ensemble ne peut pas véritablement transformer la vie de quelqu’un, c’est pour cela que nous voulons renforcer les offres que nous avons.

Lefaso.net : En dehors de l’entreprise Quickcash, avez-vous avez d’autres activités ?

Je fais du bénévolat comme incubatrice. Je milite aussi pour les jeunes entrepreneurs à qui je donne de mon temps, parce que je suis passionnée par l’entreprenariat.

Lefaso.net : Avez-vous des conseils à l’endroit des jeunes qui voudraient entreprendre ?

D’abord, il faut être passionné par ce qu’on fait. Il y a un danger aujourd’hui, parce qu’il n’y a pas de travail, on dit d’aller entreprendre. Ça, c’est un danger, parce que l’entreprenariat est un métier. D’ailleurs, c’est plus facile de trouver du travail que d’entreprendre. Il faudrait savoir comment inculquer le goût de l’entreprenariat aux jeunes. Si vous n’avez pas la fibre de l’entreprenariat, ça ne va pas bouger. Il faudrait revoir le système éducatif scolaire pour inculquer l’esprit d’entreprenariat à la base et quand quelqu’un décide d’être entrepreneur, c’est un choix qu’il a fait. Même moi qui vous parle, j’ai subi plusieurs échecs auparavant avant d’arriver à là. Il faut que les gens se disent que lorsque je subis un échec, il faut savoir comment tirer avantage de cet échec pour aller de l’avant.

Dès lors qu’il y a une difficulté et qu’on baisse les bras, en ce moment, ça ne marche pas. Il faut être patient et se former parce que c’est un métier et faire ce pour quoi, on est passionné. Ce n’est pas parce votre voisine fait la coiffure, que vous allez faire également la même chose. Quand vous êtes passionné de quelque chose, même si une difficulté se présente, vous pourriez tenir. Mais si c’est du copier-coller, lorsque le vent souffle, vous baissez les bras.

Le deuxième point, c’est que si vous voulez entreprendre, il faut commencer dès maintenant. Il ne faut pas attendre que la grande sœur ou le frère vous envoie de l’argent, commencez avec les moyens que vous avez. C’est vrai qu’il faut voir grand, mais il faut être réaliste quand vous commencez. Il faut se faire une certaine discipline quand vous commencez, il faut faire une différence entre ce que ce qui m’appartient et ce qui ne m’appartient pas, il faut être passionné, discipliné et endurant.

Entretien réalisé par Nicole Ouédraogo
Lefaso.net

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