mercredi 7 août 2024
Arrivée dans la ville de Kaya, en février 2020, au lendemain d’une attaque ayant coûté la vie à un pasteur, promotionnaire de son époux, Wendzaanda Sawadogo tente aujourd’hui de se reconstruire avec les siens dans la cité des cuirs et peaux. Elle fait partie de ces milliers de personnes déplacées internes, accrochées à l’espoir d’une vie meilleure et qui tentent par tous les moyens de ne pas ployer le genou. Portrait d’une quinquagénaire que le travail n’épouvante guère et qui vit à présent de l’élevage de porcs.
Wendzaanda Sawadogo fait partie des Burkinabè qui ont abandonné tout derrière eux. Une maison, des affaires, des animaux, des voisins, mais aussi des souvenirs doux et amers. Épouse de pasteur, elle fait aussi partie des femmes dont la vie, forgée dans le marbre de l’adversité, impose le respect. Ne dit-on d’ailleurs pas que « la résilience est cette lumière intérieure qui ne s’éteint jamais ».
Demander l’aumône ? Non. Se résigner ? Non. Amina aurait pu envisager toutes les excuses possibles pour justifier les souffrances endurées lors de son exode forcé de Pilga à Kaya, un soir de 15 février 2020. Mais, au lieu de geindre, cette étoile venue de la commune de Tougouri est restée digne. En Dieu, elle confie avoir placé son espoir. « Il a préservé ma vie et celle de ma famille comme l’évoque mon prénom Wendzaanda, en langue mooré », a-t-elle annoncé, lors de notre rencontre, ce lundi 29 juillet 2024.
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La peur des regards
A son arrivée à Kaya, la quinquagénaire est accueillie par son oncle maternel. Hantée par les souvenirs de l’épreuve qu’elle traversait, Wendzaanda Sawadogo avoue avoir souffert de céphalées pendant deux semaines. « La maison de mon oncle ne comptait qu’une seule pièce, où nous étions 21 personnes à dormir : les enfants à l’intérieur et les adultes à l’extérieur. », raconte-t-elle avant de pousser un léger soupir.
Wendzaanda Sawadogo et les siens étaient toujours à l’affût de toute information concernant les personnes déplacées internes. Mais, selon ses propres mots, une peur bleue l’envahissait chaque fois qu’elle se rendait à l’action sociale : le regard des autres. « Il arrive que des gens rient ou élèvent le ton lorsqu’ils te voient. Ça fait mal », regrette-t-elle.
La traversée du désert
Après trois mois et dix jours, Wendzaanda Sawadogo et sa famille prennent congés de leur hôte pour voler de leurs propres ailes. Ils s’installent au secteur 2 de Kaya sur une parcelle achetée par l’un de ses fils, ancien orpailleur devenu militaire. Sur ce terrain non clôturé, ils construisent une maison en banco recouverte de 22 tôles. Mais, trois mois plus tard, le 15 août 2021, une partie de la maison s’effondre. « Mon oncle m’a proposé de revenir chez lui le temps de reconstruire une autre maison, mais j’ai refusé. Je n’allais pas fuir une seconde fois. Louer une maison n’était pas une option, car nous n’en avions pas les moyens ».
Dans la tourmente, la famille reçoit le soutien d’une personne bienveillante qui met à sa disposition une maison de 10 tôles pour entreposer ses affaires. C’est chose faite, mais la famille décide de vivre dans une partie de la maison qui a résisté aux intempéries. « Nous avions trois enfants avec nous. Ils dormaient à l’intérieur de la maison et nous passions les nuits sous un hangar à la belle étoile. Cela a duré à peu près, neuf mois. Nous avons ensuite bénéficié de trois tentes, dont une a été donnée à mon oncle. Lorsque notre fils a abandonné l’orpaillage pour rejoindre les forces armées nationales, il nous a construit une maison beaucoup plus solide », raconte Wendzaanda Sawadogo.
Le déclic
Elle et sa famille étaient toujours à l’affût de toute information concernant les personnes déplacées internes. Mais selon ses propres mots, une peur l’envahissait chaque fois qu’elle se rendait à l’action sociale : le regard des autres. Avec le temps, elle s’est fait la promesse de changer la perception qu’avaient les gens des personnes déplacées internes, non pas par honte de son nouveau statut, mais elle tenait à se prouver qu’une autre vie est possible pour les PDI, malgré les vicissitudes de la vie.
Elle décide donc de se lancer dans l’élevage de porcs, l’une des multiples activités qu’elle menait dans son village. « J’ai tout abandonné dans mon village sauf mes connaissances », soutient-elle. Elle achète un porcelet à 15 000 FCFA auprès de son oncle.
Début d’une nouvelle aventure
À la faveur du Fonds de relance économique FREE COVID-19, lancé par le gouvernement burkinabè pour soutenir la résilience des entreprises face à cette pandémie, le Fonds d’appui aux activités rémunératrices des femmes (FAARF) organise une rencontre d’information dans plusieurs villes, dont Kaya.
« Avec vingt autres personnes, nous nous sommes rendus à l’action sociale à deux heures du matin pour nous inscrire. Après les explications du FAARF, le matin, nous avons compris qu’il ne s’agissait pas d’une opération de recensement pour une distribution de vivres, mais de financement d’activités via des micro-crédits. Beaucoup n’étaient pas intéressées. J’ai voulu m’associer à une dame pour postuler, mais ça ne l’intéressait pas. J’en ai parlé à la famille de mon tuteur », se souvient Wendzaanda.
Elle s’associe finalement à deux femmes autochtones de Kaya. Il s’agit de Yaabré Sawadogo, l’épouse de son oncle, et Florence Sawadogo, sa fille. Ensemble, elles forment à trois un groupe de solidarité. Leur dossier pour la mise en place d’une ferme porcine est validé par le FAARF, qui leur octroie un prêt de 900 000 FCFA, remboursable en deux ans.
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Une activité « rentable »
Grâce à ce crédit, Wendzaanda achète quatre porcelets et les deux autres femmes, cinq porcelets au total. Elles construisent une porcherie sur un terrain adjacent à la concession de la native de Pilga. A cette mise de départ, s’ajoute le premier porc de Wendzaanda Sawadogo, qui a eu sa première portée de huit porcelets au bout de douze mois.
« Cet élevage est rentable. Cela m’a permis de prendre en charge ma famille et de scolariser mes enfants qui avaient décroché de l’école à cause de l’insécurité. J’ai aussi acheté une moto », explique la quinquagénaire, visiblement épanouie.
Selon la gestionnaire de crédits au FAARF, Justine Zoungrana, Wendzaanda Sawadogo et son groupe sont à féliciter, car grâce au premier crédit remboursé en une année seulement au lieu de deux, le FAARF leur a octroyé un second crédit d’un million de francs CFA, également remboursé dans les délais.
L’épreuve
Cependant, après deux ans d’activités, la grippe porcine a décimé la moitié du cheptel porcin, estimé à l’époque à une quarantaine de têtes. Le groupe, qui avait pourtant contracté un troisième prêt de 1 500 000 FCFA, se retrouve en difficulté pour le remboursement arrivé à échéance, en juillet 2024. Le FAARF doit recouvrer environ un million quarante-cinq mille francs CFA.
Dans ces moments difficiles, Wendzaanda peut compter sur le soutien de son époux, Pasteur Jean Baptiste Ouédraogo, aujourd’hui maroquinier. Au regard de la situation économique difficile, il peine à écouler ses sacs, sandales et ceintures en cuir. « De nombreux clients achètent à crédit. J’aimerais développer mon activité, mais en tant que pasteur, il est difficile d’emprunter de l’argent », regrette Pasteur Jean-Baptiste Ouédraogo, qui ne cache pourtant pas sa fierté pour le chemin parcouru par sa tendre épouse.
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Le rêve
Malgré les nuits blanches passées à se creuser les méninges pour trouver comment rembourser le crédit, Wendzaanda Sawadogo trouve toujours la force de rêver. Elle souhaite construire une porcherie plus spacieuse, car une partie de la cour abritant l’habitat des porcs a été réaménagée pour accueillir un ménage de déplacés internes.
« La porcherie actuelle est vieille et contrairement à ce qu’on pourrait penser, les porcs n’aiment pas la saleté », précise-t-elle. Une autre idée la taraude : produire du soumbala. C’est d’ailleurs avec ferveur qu’elle en parle. Mais, malgré ses difficultés, elle s’estime chanceuse, car ses amies restées à Pilga et avec qui elle a gardé le contact, ne savent toujours pas à quel saint se vouer. En leur nom et au nom de ceux et celles qui ont préféré partir vers des horizons meilleurs, elle plaide pour un retour de la paix au Burkina Faso.
Fredo Bassolé
Lefaso.net